La violence et la démagogie de la campagne présidentielle de 2016 témoignent de l’approfondissement de la crise existentielle que traversent les États-Unis.
Barack Obama paraît avoir rempli le mandat reçu des Américains en 2008 : d’un côté, il a enrayé la déflation ; de l’autre, il a désengagé les États-Unis des guerres perdues d’Irak et d’Afghanistan. Pour autant, la violence et la démagogie qui resteront comme la marque de fabrique de la campagne présidentielle de 2016, transformée en référendum autour de Donald Trump, témoignent de l’approfondissement de la crise existentielle que traversent les États-Unis. Ils sont confrontés à la fin de leur domination sans partage sur le capitalisme et de leur leadership stratégique qui avait débuté en 1945. Les Américains sont déchirés par la remise en question de l’identité d’une nation composée d’immigrants unis par la liberté du fait de la révolte de la classe moyenne blanche.
La croissance est stabilisée au-dessus de 2 % par an. L’investissement et l’innovation sont dynamiques, avec une recherche atteignant 2,8 % du PIB. Le déficit public a été ramené de 10 à 2,5 % du PIB depuis 2010. Le plein-emploi est rétabli avec un taux de chômage réduit à 5 % de la population active et la création de 15 millions d’emplois depuis 2009. Le revenu médian a progressé de 5,2 % en 2015 à 56 516 dollars par tête, permettant la sortie de la pauvreté de 3,5 millions de personnes.
Pour autant, la reprise a été portée par la politique monétaire de la Fed, qui doit désormais impérativement remonter les taux d’intérêt sauf à nourrir de nouvelles bulles financières. Les gains de productivité stagnent autour de 1,2 % par an, notamment en raison de l’obsolescence des infrastructures. Les créations d’entreprise reculent par rapport à la fin des années 1970, où 65 % des sociétés avaient moins de deux ans, contre 80 % aujourd’hui. Enfin, une majorité d’Américains n’a pas retrouvé le niveau de ses revenus de 2007.
La polarisation de l’économie et des revenus se traduit par la hausse persistante des inégalités, la chute de la mobilité sociale, un mouvement de reségrégation raciale et une montée de la violence sous diverses formes : plus de 13 000 homicides par arme à feu et 10 000 décès par overdose d’héroïne par an, mort de 1 134 jeunes Noirs à la suite d’interventions policières. L’Obamacare n’a pas amélioré significativement les performances du système de santé, qui absorbe 17,1 % du PIB : sur les 50 millions d’Américains qui étaient auparavant non assurés, 17 disposent désormais d’une couverture mais au prix d’une explosion des cotisations et du désengagement des assureurs privés.
Le bilan de la politique étrangère néo-isolationniste poursuivie par Obama est plus négatif encore. Le pivot vers l’Asie a échoué, laissant le champ libre à Pékin, qui poursuit son expansion militaire en mer de Chine, accélérée par le renversement d’alliance des Philippines et de la Malaisie, ainsi que commerciale en Asie à travers la nouvelle route de la soie – quand Trump et Clinton rivalisent dans la dénonciation du pacte transpacifique. La nouvelle guerre froide avec la Russie n’a pas empêché Vladimir Poutine d’annexer Crimée et Donbass, de ruiner le système de sécurité européen et d’intervenir avec succès en Syrie. Le soutien inconditionnel au printemps arabe a servi les islamistes. Le retrait précipité d’Irak a créé un vide dans lequel s’est engouffré l’État islamique. L’ouverture vers l’Iran reste incertaine du fait de l’incapacité de Washington à garantir une levée effective des sanctions, notamment contre les banques. L’affaiblissement de la crédibilité des engagements des États-Unis, acté par le revirement sur la Syrie, et l’indifférence vis-à-vis des alliés ont ébranlé la solidarité entre les démocraties.
Les défis que devra relever le prochain président des États-Unis sont immenses. Au plan économique, le relèvement de la croissance potentielle pour répondre à l’épuisement inévitable du cycle d’expansion qui a débuté au printemps 2009. Au plan technologique, la préservation du leadership américain sur l’économie numérique et la gestion de ses conséquences sur l’emploi. Au plan social, la soutenabilité de l’Obamacare. Au plan politique, la réforme d’institutions paralysées. Au plan national, la restauration de la cohésion par-delà les divisions et l’endiguement de la violence. Au plan international, le réengagement raisonnable dans la stabilisation des conflits et la restauration de l’unité des démocraties au service d’un ordre mondial qui devra être non pas imposé mais négocié avec les grands émergents, notamment la Chine.
Or non seulement la campagne présidentielle, qui met aux prises les deux candidats les plus impopulaires de l’histoire, n’a en rien préparé la réponse à ces enjeux, mais elle laisse les États-Unis affaiblis et divisés, et l’idée même de la démocratie vulnérable et discréditée.
(Chronique parue dans Le Point du 07 novembre 2016)